Un hiver catastrophique en 1788-1789

Eté désastreux, hiver glacial... cela pourrait être un proverbe de circonstance. D'autant que les anciens nous prévoient un hiver 92 des plus rigoureux. De quoi trembler d'avance au coin du feu à la lecture de ce récit frigorifiant de l'hiver qui a précédé la Révolution de 1789.
L'été 1788 avait été désastreux pour les récoltes : pluie, vent, grêle avaient ravagé blé et vigne. Seul le foin avait été abondant confirmant le dicton : « Année de foi, année de rien ».
Le samedi 15 novembre, un froid très vif s'abattit sur toute la vallée du Rhône, froid qui alla en s'amplifiant de jour en jour. Le mardi 25 novembre, la neige se mit à tomber et la couche atteignit vite quatre vingt cinq centimètres. Dès le 20 décembre, plus aucun moulin ne tournait, leurs roues prises par les glaces. Le Rhône charria d'abord d'énormes glaçons, puis seul un chenal resta libre en son milieu. Durant la première quinzaine de janvier, les chariots les plus lourds purent le traverser sans danger.
Malgré leurs murs en pisé, leur sol en terre battue, leurs cheminées et du bois en abondance, les maisons étaient glaciales. Brise-bise et rideaux n'y faisaient rien : le tirage de la cheminée aspirait l'air froid extérieur qui traversait la pièce, glaçant les jambes au passage. Les cristaux de givre formaient aux carreaux des dessins géométriques toujours renouvelés. Tout le monde souffrait d'horribles engelures aux pieds et aux mains. A Noël, l'eau des bénitiers et même le vin de messe étaient gelés. A noter que les trois messes basses de la nuit de Noël furent célébrées au village par les curés Tupin et Puzin, la porte de Givret était bloquée par une énorme congère. Pendant l'office un nuage de buée s'élevait des lèvres des fidèles transis.
Il y a eu au total quatre vingt six jours de gel. La température descendit à moins 34 Réaumur dans le Vivarais tout proche de la terre et dans les terres froides du Dauphiné. On ne vit pas un nuage pendant 20 jours et les étoiles brillaient comme au mois d'août. Certains jours, sonné l'angélus de midi, la température devenait positive et de petites flaques se formaient autour des congères. Mais les après-midi, sur « le coup de quatre heures du soir », celles-ci se transformaient en plaque de verglas. Heureusement, au Port Vieux, l'eau des puits était à dix huit mètres (neuf toises, un pied, cinq pouces) donc à l'abri du gel. Et puis le 10 février 1789, le vent « tourna », la température se radoucit brusquement et la neige disparut après soixante dix sept jours. Le commun des mortels avait résisté à force de cataplasmes à la farine de lin et à la moutarde et de ventouses révulsives. Ainsi la mortalité ne dépassa pas la moyenne. Ne dit-on pas qu'un froid sec est le plus sain des temps. Après de telles contraintes on pouvait espérer un beau printemps. Il n'en fut rien. Dès l'octave de Pentecôte, les pluies avaient « mané » presque tous les foins. M ais année sans foin, année de bien.

Source : Dauphiné Libéré, 1996.

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